Anna raccroche son téléphone. Mal luné aujourd’hui, le gardien du refuge de Presset. Refuge qui est décidément victime de sa popularité, et c’est une demi-heure durant que le maître des lieux vient de l’expliquer, avec certaine véhémence, à la photographe d’Albertville.
Très bien, mais nous avons un reportage sur la planche (et même les artistes doivent gagner leur pain), alors pourquoi pas le Nant du Beurre, a priori moins touristique ? L’appel est passé, nos couverts et couchages réservés, et nous voici missionnés, au nom de l’Esthétique, dans le Grand- Nâves.
Nâves, une terre bien connue des fondeurs, qui peuvent d’ailleurs maintenant se rendre jusqu’au refuge via une extension de la piste noire, mais aussi des amateurs de ski de randonnée. Ces derniers viseront le tranquille Quermoz, ou un raid en Beaufortain, ou encore, comme nous, le grand Crétêt, la pointe du Dzonflé, et un retour en boucle en passant par la Légette.
Nous nous garons au Tovet, fameux point de départ des pistes de fond, sur un parking assez encombré (pas sûr que nous manquions de compagnie à table le soir), et nous élançons, par bonne chaleur, pour un court portage de saison.
Pas pressés. Nous avons tout l’après-midi pour faire des photos et avaler – déguster – les 600m de dénivelés nous séparant du refuge.
En chasseurs d’images paisibles, nous traversons le plateau du Tovet, où de beaux sujets nous sont fournis par les toits hétéroclites qui ponctuent la montée en pente douce. Nous cassons justement la croûte devant un de ces chalets en forme de tente canadienne, dans un solarium. Dans un état similaire au fromage que j’absorbe, glissant vers la sieste, je marîne bientôt dans des méditations sur la métaphysique du beurre, hésitant sur les noms… Demi-torpeur dont je dois me secouer pour repartir, un peu nauséeux, vers notre objectif.
Alors, nous nous promenons au travers d’un pays blanc, fait de courbes, de nuages qui se baladent en troupeaux, d’arbres à moitié ensevelis… Par-dessus, la couche apaisante du silence.
Plus on remonte d’un côté et de l’autre de ces renfoncements moelleux où gargouille le nant (comprendre : un cours d’eau), plus l’ambiance devient sauvage, intimiste. Le refuge, quand il apparaît, ressemble à la maison du silence.
À ce moment, je ne regrette pas du tout le belvédère en face de la Pierra-Menta, qui n’en finit plus de prendre la pose. Cela dit, nous trouvons le havre de paix effectivement bien rempli, et l’on se retrouve à jouer des coudes dans le séchoir pour retirer ses chaussures, dans une odeur caractéristique. C’est le moment choisit par mon coup de chaud de l’après-midi pour se manifester, et m’envoyer face contre le matelas.
Une bonne bière artisanale pour me rafraîchir les idées (en compagnie agréable des deux gardiens quadrupèdes) et nous pouvons apprécier le coucher de soleil, qui vient allumer et animer le refuge. La terrasse éclairée, les étoiles qui apparaissent, et l’on s’imagine un Van Gogh pris de passion pour le ski-alpinisme.
Le repas, convivial, où chacun détaille son itinéraire, où l’on parle un langage un peu sibyllin sur la neige et ses états, langage constitué pour moitié de noms propres – sommets, cols, brèches…, enfilés poétiquement autour d’un fil mystérieux.
Restaurés – Anna chassant avec son objectif l’aide gardienne, qui virevoltait sans doute plus vite que d’habitude pour servir les plats veggie – nous prolongeons au maximum la veillée par jeux de sociétés, lectures et guitare, dans l’espoir de nous endormir aussitôt. Le lit superposé marqua ma dernière ascension de la journée.
Levé de bonne heure, alors que tout le refuge semble dormir encore, je vais mettre le nez aux grandes vitres de la salle, m’y balade un peu, appréciant ce moment de solitude entre chien et loup. Sur les tables, le petit déjeuner déjà magiquement dressé, comme si quelqu’un était passé dans la nuit. Une assemblée muette et invisible quitte les bancs, alors que s’installent un à un nos voisins de table, porteurs craintifs de bols fumants.
Le soleil éclaire la salle de nouveau vide, tandis qu’Anna, telle une petite fille, dessine dans le Livre d’or, et que je rumine quelques mots potentiels d’accompagnement. Peu satisfait et maladroit à capter l’inspiration, je suis toujours à l’état de ruminant bizarre lorsque, après avoir fait signe aux gardiennes, nous nous retrouvons en plein décor minimaliste, typique du Beaufortain. Prouesse du ciel…
Seuls les couteaux que nous accrochons à nos skis viennent découper un peu de la douceur du paysage et de la lumière matinale. Heureux comme des enfants, nous atteignons ainsi la pointe du Dzonflé, 2455m, magnifique point de vue à 360°, d’où nous pouvons apercevoir aussi bien les Aravis que le Mont Granier, le Mont Blanc que la Grande Casse, la Meije que le Mont Pourri, la Lauzière que les dômes de la Vanoise… Semblables à deux girouettes qui formeraient mille projets excitants.
S’ensuit une descente magique jusqu’au chalet des Mouilles sur une neige réchauffée juste à point, puis une remontée et une chaude traversée en direction du Quermoz. Nous ne monterons pas ce dernier, mais le sommet qui le précéde, pour amorcer la descente côté Nâves, et rejoindre le parking (la neige restante sur la piste noire nous évitant quasiment tout portage).
Une heure plus tard, nous offrons, rue de la République, à Albertville, à la terrasse d’une crêperie, le spectacle de deux originaux en collants, à la face rouge, la mine béate.
À quand la prochaine ?
Texte par Charley FAVRE
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