Arêches, Col de la Forclaz. Nous contemplons le Grand Mont, balayé par le vent, comme nos espoirs d’atteindre ce sommet par l’arête ouest. Il est dit que ce reportage n’en finira pas. Quel rude métier. Certains ont les yeux rivés sur les fluctuations de la bourse, d’autres sur les conditions météo. Ainsi vit, dans une angoisse météorologique perpétuelle, le photographe outdoor.
De retour à Albertville, ambiance printanière. Nous changeons notre fusil d’épaule. Fini la neige et le ski de randonnée, place à l’escalade, au VTT, au barbotage. Un appel à l’agence de Savoie Mont blanc, et c’est entendu : une sortie en grande voie, ce sera parfait.
Le choix est facile : ce sera « Harmonie », 6 longueurs, 5c/6a+, aux Grandes Suites, falaise bien connue en rive droite du lac d’Annecy.
Lecteur, je ne maintiendrai pas inutilement ce suspens insupportable : la première tentative est un échec. L’étude de la voie fut sérieuse, le matériel préparé la veille, le départ pris de bonne heure… Crânement, nous nous permettons même de prendre un café dans une jolie échoppe à Veyrier-du-Lac.
L’odeur de la débâcle qui commence à poindre ? – nous perdons du temps sur l’approche en voulant suivre de manière studieuse le topo, et empruntons un accès un peu scabreux (dont le retour, par un autre chemin, nous montrera l’absurdité). Nous atteignons tout de même le pied de la voie, pour ma part mi-charmé par cette balade en forêt (le bleu du lac, qui fait une mouvante mosaïque entre les feuilles) mi-enragé contre l’obscur topo.
Équipés, encordés, c’est parti. Anna libère le petit dièdre de la première longueur, puis nous nous retrouvons au dessus du secteur initiation, au départ de la voie proprement dite. Là, nous nous trompons, confondant deux surplombs, et partons dans un 6a+ bien vertical, au lieu d’une dalle à gouttes d’eau plus pacifique.
Et c’est le drame. Très bonnes prises, mais très aigues. Je me pends sur les bras, et reçois une belle décharge dans le majeur. Fourmis, perte de sensibilité… Poulie ? Pas entendu le claquement. Plus certainement le nerf touché. Et le moral aussi. Et nos ambitions de la journée jetées au lac.
Rien de grave apparemment : nous décidons de revenir le lendemain pour régler nos comptes. Notre boulangerie préférée propose – tiens-donc – le sandwich « Harmonie ». Amusant, et surtout de bon augure.
Trêve de superstitions, nous voici de nouveau les mains dans la voie. On est samedi, ça bouchonne un peu. Au relai, on blague, on discute, on encourage celui ou celle qui grimpe, comme si on se connaissait. Rien qui rapproche comme se lancer en même temps à l’assaut d’un bout de caillou.
Le soleil se montre alors que nous attaquons la L3, et sa jolie traversée d’équilibre. Une fois passés, nous vibrons avec le leader de la cordée derrière nous, qui fait une sérieuse « machine à coudre », ou patte qui tremble. Ils tireront sagement le rappel, avec le sourire, au prochain relai. (Nous recevrons le lendemain, de la part de Martin, un message réjouissant sur instagram).
L’escalade offre, il est vrai, de par son exigence mentale, l’occasion assez fréquente de se maudire soi-même et ses velléités grimpantes, ras-le-bol qui s’exprime souvent par un « qu’est-ce que je viens foutre là ? » désabusé.
Un état d’esprit qui fera abandonner également la cordée au-dessus de nous, nous laissant ainsi seuls dans la voie après cet esthétique mais difficile 6a+ de L4.
La cinquième longueur se joue sur un pas un peu physique (le “crux” de la voie peut-être, en raison surtout des prises patinées), avant un joli passage gazeux. Puis nous avisons déjà le dernier 6a, au rocher magnifiquement compact, taillé pour le passage d’un grimpeur en bout d’effort.
C’est gagné, nous rejoignons avec délice une terrasse ombragée, ouverte sur le lac où l’on voudrait directement plonger.
Pas terminé cependant, les heures ont défilé, nous n’avons plus d’eau, la peau grillée, et il faut encore trouver la descente. Anna s’élance, dos au vide, puis je la rejoins par un superbe rappel en fil d’araignée.
Encore un, le dernier, avant de permettre aux deux arachnéens fourbus d’atteindre le sol. Anna arrive sur une vire, où la corde s’est arrêtée. Derrière elle, les deux grosses branches d’un arbre mort. Elle démêle puis jette la corde, qui s’accroche – évidemment – à la dépouille. Elle tire, la corde se serre. Ça n’en finira pas.
Magiquement, la corde se dénoue. On recommence : la corde lovée, puis jetée. L’autre branche. Cette fois j’ai peine à retenir mes jurons.
C’est bien connu, les galères font les meilleures histoires. Celle-ci n’en est même pas une, car nous serons très bientôt au bord de l’eau à téter une bonne bière. Paisiblement, avant que l’été ne transforme le lac en giratoire infernal.
Enfin, une bonne sortie. Soulagée, Anna pique une tête. Rude métier.
Texte par Charley FAVRE
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