Continuant notre exploration photographique (les activités outdoor en Tarentaise, tel est le thème, rappelons-le, pour ceux qui auraient manqué le précédent article sur le Monal), nous nous retrouvons au pied de la Grande Casse, vers 1400m, à Pralognan la Vanoise. Le terme « se retrouver » est pour moi très pertinent, puisque s’agissant de mon village d’origine, il est impossible pour moi d’y faire retour sans m’y rencontrer de quelque façon.
Cette fois encore, c’est l’escalade qui est mise à l’honneur. Le rocher de la fraîche, attenant à la cascade du même nom (où nous avons d’ailleurs « via ferraté ») semble tout indiqué, à la fois accessible (pas de marche d’approche), varié (avec ses 4 secteurs bien différents), démocratique (70 voies pour la plupart dans le 5 et le 6), calme, et avec du beau rocher : sur ce point, je demande à la photographe de me faire confiance, en connaisseur des lieux. N’est-ce pas ici que j’ai grimpé, avec une technique balbutiante, ma première voie ?
Nous nous approchons donc de cette falaise que j’ai vu « rétrécir » au fil des années, à mesure que les relais sommitaux m’en paraissaient de moins en moins inaccessibles, en compagnie de Joseph. Joseph, breton, débarqué quelques mois auparavant à Albertville, pour pratiquer l’alpinisme. Il fît le Mont Blanc en solitaire une semaine plus tôt, avec du matériel d’occasion.
Notre choix se porte sur le surprenant « secteur de l’anneau ». Un ouvreur porté sur Tolkien ? Rien n’est moins sûr.
Épique est peut-être exagéré pour le qualifier, néanmoins on trouve quelque chose d’un peu fantastique dans les formes et les couleurs de ce chaos rocheux. Avec aussi un côté sauvage, dû à l’odeur d’épines, et au bruit atténué de la cascade de la Fraîche, toute proche.
Les cotations sont modestes, mais la grimpe peut rapidement tourner au combat, comme par exemple dans « Duel au soleil » (6b+, la plus dure du secteur sur le papier), qui se joue sur un pas, avant d’aller rejoindre – deux prises à l’aveugle dans une position précaire – la dalle de fin, coupée au couteau, faisant un fronton à la falaise.
Après un passage dans « La salsa » (plus calme), et « On the road again » 6b au final attirant pour l’œil et plutôt impressionnant quand on s’y trouve, nous nous déportons sur la gauche pour monter touts trois dans « Niagara », variée et magnifique pour ce niveau (6a).
Nous enchaînons par sa voisine « Tam-tam boy », où j’espère Joseph, qui randonne jusqu’à présent, trouvera un peu d’adrénaline, de part l’équipement un peu bizarre sur la fin : la dalle, qui offre une splendide traversée, pourrait se transformer en piste d’atterrissage quelques instants plus tard. Il n’en est rien. Facile dans le réta du milieu, puis dans la dalle, et dans le finish, il coche une par une les classiques de ce secteur (ce qui n’était pas mon cas, non, lors de mes premières ascensions). Le shooting terminé, Anna peut également profiter du rocher local, en s’essayant aux mouvements d’équilibre de « Noir et blanc ».
Les autres secteurs étant restés de côté, nous sommes de retour le lendemain, cette fois avec mon frère pour m’assurer. Mon frère, qui, en plus de son inconfort habituel dans cet environnement qu’il trouve dangereux – bien que sportif, il ne grimpe pas – arbore une tenue assez personnelle, à base de collants blancs (trahissant son admiration quasi religieuse pour un certain personnage de jeu vidéo), et que découvre notre photographe avec un œil pour le moins étonné.
Secteur Haute-tension. Je m’élance (plusieurs fois) dans « Bienvenue chez moi », une belle balade assez longue en 6a. Une petite longueur en 6b pour gagner le haut de la falaise pourrait servir de cerise sur le gâteau : nous y renonçons pour gagner du temps.
Anna est postée comme un sniper sur une petite terrasse herbue, côté Dièdre bleu (le secteur suivant) : je commence à m’habituer à grimper sous la visée de cet œil intransigeant.
Nous rejoignons, par une échelle métallique, notre « shooteuse », sur ce secteur que j’apprécie tant, qui fait un balcon tranquille au-dessus des arbres et de Pralognan, et où le grain est si bon. Plutôt vertical, cependant la partie gauche permet de grimper dans du léger dévers, ce que je m’empresse de faire, en allant me confronter aux arquées d’« Herminator », 6b/c.
Les jeux sont faits. La photographe et metteuse en scène peut, en récompense, visiter « Happy years » et « Le plaisir des yeux ».
Ainsi s’achèvent ces deux jours de shoot. Bien sûr, je suis heureux que les visiteurs aient apprécié, et moi-même je le suis de pouvoir redécouvrir les lieux au travers du travail d’Anna. Mais finalement, c’est tout l’inverse d’un plaisir chauvin qu’il me reste.
Ici, je pourrais simplement parler de ces journées d’automne, et du sentiment qui les résume, je veux dire un sentiment de « fraîcheur ». Fraîcheur qui n’est pas seulement celle de l’air, mais aussi de la lumière, ouatée. Des arbres, et de leur envergure. Fraîcheur qui émane des choses, comme une fatigue bienheureuse.
Je pourrais parler des journées d’automne, du calme envahissant, où les mots deviennent vibration.
Je pourrais parler de ce sentiment d’absence.
(Nous étions seuls à grimper.)
Texte par Charley Favre.
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