Si novembre se confond pour le commun des mortels à une sorte de trou morbide sur le calendrier, un temps plus ou moins lénifiant entre plage et pistes de ski, – il en va tout autrement pour les grimpeurs et les mélancoliques (qui sont les mêmes, parfois).
Mes aspirations automnales – une Anthologie de la poésie romantique dans une main, les chaussons dans l’autre – rencontrant les projets d’Anna, photographe outdoor à Albertville, nous nous mettons en recherche de spots photogéniques, sur le thème du prochain magazine Infonews à paraître (les activités sportives en Tarentaise), où ses photos seront publiées.
Bien que connaissant cette vallée, pour en être originaire, et y avoir commencé l’escalade, je me gratte un peu la tête : qu’est-ce qu’un « beau » spot pour Anna ?…
Finalement, c’est elle qui me montre une photo : un mec pendu dans un surplomb. Tu pourrais grimper ça ? C’est d’accord, va pour le Monal.
Monal. Comme à chaque fois qu’un mot mystérieusement m’arrête, je le répète pour moi-même, comme pour essayer d’en démêler les sens cachés, de sentir sous la syllabe ce qui a pu être touché en moi, prenant à ce petit travail un plaisir qui ressemble à celui du grimpeur – chercheur maniaque. N’est-il pas vrai que les lieux – soyons proustiens – ce sont d’abord des noms, une sonorité à travers laquelle nous faisons des projections, sans rapport forcément avec le lieu lui-même, mais qui lui tiennent comme une ombre, influencent notre rapport à lui, et jouent finalement sur notre motivation. En l’occurrence, le Monal me faisait d’emblée les yeux doux.
On pourra s’étonner de références aussi littéraires pour parler d’escalade. Cela dit je me rappelle ce parallèle étonnant fait par un ami lors d’une sortie récente, constatant son relatif manque de forme : dire qu’on « a plus la caisse », en montagne, c’est comme dire, chez les lettrés, « je dois relire Proust ». Certaines choses se doivent d’être entretenues.
Nous voici donc sur le parking de la Halle Olympique (haut-lieu d’entraînement), en compagnie de Marine, avec qui je vais tenter de former un binôme modèle. Il fait jour blanc, ce qui, pour un premier jour dans notre vie de stars (qui a connu depuis un essor assez modéré), nous rends plutôt indolents. Cependant au fil de la discussion dans la voiture, nous nous découvrons tous les deux un inconfort devant l’objectif qui scelle d’emblée notre duo. Paparazzis, restez discrets.
Quelques kilomètres après Bourg-Saint-Maurice, la route bifurque, fait des lacets, nous dépose au parking, accueillis par le vent. Nous passons à côté de quelques chalets, où tout sens le travail du bois et les activités traditionnelles – quelqu’un d’ailleurs fend des bûches à grands coups de hache, sans nous prêter réellement attention – puis nous arrivons au hameau du Monal (1850m), qu’on ne peut décrire que comme un havre de tranquillité. Ici, pas d’habitants : une retraite, sans doute, seulement, pour les propriétaires de ces jolis toits.
Un champ, puis la falaise. Le sentier qui serpente à son pied – confortable – et la sépare d’une forêt de mélèzes. Le tout forme un petit vallon des plus bucoliques. Le soleil, qui fait quelques apparitions, arrive jusqu’au pied des voies, où l’on pourra piquer une sieste. En toile de fond, le glacier du Mont-Pourri, et le dôme de la Sache. Exposition : sud. Parfait pour cette saison frisquette.
Nous commençons à grimper, tour à tour, sur la partie de la falaise la moins raide, – avec les indications de notre photographe et cheffe costumière qui trouve elle-même de précaires perchoirs – d’un rocher noir. Facile, mais les voies juste à gauche ont l’air bien plus teigneuses au départ. Il faut dire qu’en plus de son attrait visuel, ce spot offre une belle diversité de profils, pour une difficulté assez étalée, avec ses 38 voies du 4c au 7b+ : de quoi faire le bonheur de la plupart des grimpeurs.
Paradoxalement, la présence de l’objectif et les clic-clic de l’appareil, plutôt que de me faire forcer mes mouvements, m’apportent du relâchement dans ma grimpe, m’invitent à lâcher du lest, à trouver la manière la plus facile (“flemmarde”) de passer, qui est aussi bien souvent la plus esthétique, et vice-versa. La grimpe et son côté chorégraphique.
Ne vous étonnez pas si visitant cette falaise, vos séances d’assurage tournent à l’ellipse contemplative. Alors que c’est au tour de Marine d’essayer de faire ciller l’œil mécanique, je peux à loisir m’imprégner du charme du lieu, nuancé dramatiquement par les trouées de lumière automnale. (Non sans rester attentif évidemment à ma partenaire, et à la scène partielle de ce tableau animé qui se joue un peu plus haut).
Nous poursuivons par une voie courte dans le dévers. Un beau mouvement, très fun, au milieu (remonter sur un bi-doigt, main ouverte, pour aller croiser assez loin sur une grosse écaille). Tout pour me plaire, en plus du nom nervalien : « Soleil noir ».
Impossible ensuite de ne pas grimper sur la magnifique coulée bleue du mur central. J’y laisse pourtant quelques plumes, parvenant difficilement à empiler les pas assez techniques en 7a, et abandonnant carrément dans le final, butant sur une séquence ésotérique pour moi à ce stade.
Nous finissons dans la partie gauche du même mur, d’un rocher jaune, par une voie judicieusement appelée “Mona-Lisa“, assez impressionnante finalement pour un 6a. Sa voisine en 6a+ a l’air tout aussi belle. Ce sera pour la prochaine fois, comme pour la partie « toit » qui nous avait motivés au départ.
C’est dans la boîte. Nous faisons en sens inverse les vingt minutes d’approche, remontant la temporalité alentie des lieux, un peu pressés par le vent (tous les chalets du hameau ont déjà volets clos).
Bilan : la découverte d’un spot démocratique, accessible, mais surtout magnifique et secret, qui, on l’espère, sera respecté unanimement par les grimpeurs, tant le charme et le calme y semblent installés. Relativement envisageable à vélo, à condition d’emprunter, avant de rejoindre la petite route, un bout de départementale…
En bref un spot recommandé à tous les grimpeurs, passionnés par la lauze et les vieux peintres.
Texte par Charley FAVRE
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